Jennifer Foucart, unité de recherche Psychophysiologie de la motricité
Jennifer Foucart, les JO de Rio ont été qualifiés de « pires » du point de vue du dopage. Pourquoi?
On attendait de ces JO qu’ils soient propres comme le Comité international olympique l’avait proclamé. Or, de nombreux dysfonctionnements sont apparus: manque de personnel tout d’abord pour encadrer les contrôles anti-dopage; failles dans le système de détection ensuite – on a notamment observé que des personnes étrangères étaient entrées dans des zones de test -; le laboratoire d’analyses interdit par l’Agence mondiale antidopage (AMA) a pourtant retrouvé son accréditation in extremis; etc. Ces différents manquements ont d’ailleurs amené l’AMA à réclamer une enquête indépendante.
Au final, on a cité 12 cas contrôlés positifs et une médaille retirée, celle d’un haltérophile, contrôlé positif à la strychnine. Les Jeux de Rio ont aussi été émaillés des disqualifications de plusieurs sportifs, suite à des contrôles positifs lors des JO de… Pékin (2008) ou de Londres (2012).
Devons-nous en déduire que sport et dopage sont intrinsèquement liés?
Oui, je crains que tant qu’il y aura de la compétition, il y aura du dopage. A chaque événement sportif, nous attendons des exploits; il y a une pression immense sur les sportifs. On finit par oublier que le sport est un plaisir à partager avant d’être une compétition à remporter.
Or, les performances ne sont pas illimitées: on peut encore améliorer un peu les équipements, les entrainements ou l’alimentation, par exemple, mais le corps humain arrive à ses limites: nous ne pourrons pas aligner de nouveaux records indéfiniment! Certains voient alors dans le dopage une manière d’améliorer leurs performances malgré tout. C’est d’autant plus répandu que notre société banalise l’idée selon laquelle on a besoin d’une aide pour mieux fonctionner.
Le dopage est-il limité aux professionnels ou au contraire, les sportifs du dimanche sont-ils également concernés?
Cette idée de prendre une aide pour être meilleur, elle est en effet répandue chez les amateurs et même en dehors du sport: ce sont les suppléments vitaminés ou les boissons énergisantes qu’on prend en période de blocus, par exemple. Ce sont aussi les protéines en poudre ou les aides médicamenteuses autorisées qu’on vous conseille dans des clubs sportifs.
Selon une étude menée aux États-Unis, 5 à 15% des sportifs amateurs adultes se dopent et 3 à 5% des enfants! Selon une autre étude, 2,7% des enfants âgés de 9 à 13 ans consomment des stéroïdes anabolisants: ce ne sont pas eux qui ont décidé d’en prendre bien sûr, mais leur entourage qui leur a donné, parce que la société banalise l’idée d’un produit pour mieux fonctionner. Or, on sait qu’au-delà des effets secondaires directs, le dopage a d’autres effets indésirables et est notamment un des déterminants à la toxicomanie.
Le sport lui-même peut-il devenir une addiction?
Oui, la pratique sportive intensive peut dériver vers un comportement de type addictif. Les sportifs sont constamment en mouvement; lorsqu’ils arrêtent l’activité physique, ils peuvent rapidement présenter des symptômes de manque tels qu’insomnie, irritabilité, réduction de l’appétit, etc. Certains d’entre eux compensent alors le manque en tombant dans la toxicomanie. Selon des études, 15% des toxicomanes seraient des ex-sportifs de haut niveau.
La pratique sportive est certes favorable à la santé physique et psychique mais pour autant qu’on ne veuille pas en faire trop et constamment repousser ses limites. Comme souvent, le mot-clef est modération.